mardi 19 mars 2013

La France, mouton noir du végétarisme


Eric Birlouez, sociologue de l'alimentation
Sans être végétarien, Eric Birlouez est l'un des rares sociologues qui s'intéresse à ce phénomène dans l'hexagone.

Historien et sociologue de l’alimentation, Eric Birlouez doute que les récents scandales influent beaucoup sur la consommation de viande ou facilitent un essor rapide du végétarisme en  France. Il prédit en revanche l’émergence d’une catégorie de consommateurs : les nouveaux adeptes du végétal.


Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Eric Birlouez : J’ai une formation d’ingénieur agronome et de sociologue. J’exerce comme consultant indépendant, enseignant en histoire et en sociologie de l’alimentation, formateur, auteur et conférencier. 

En tant que sociologue, depuis combien de temps vous intéressez-vous au végétarisme ?

E.B : Depuis dix ans, mais c’est surtout le goût croissant d’une partie des Français pour les aliments végétaux qui m’intéresse. J’ai baptisé ces gens les nouveaux adeptes du végétal. Chez eux, le processus de végétalisation de l’assiette (davantage de légumes et de soupes, de fruits, de céréales, d’herbes aromatiques et d’épices) va généralement de pair avec une moindre consommation de viande.

La vraie tendance de fond serait donc la végétalisation de l’assiette, pas le végétarisme ?

E.B : Sauf crise sanitaire majeure concernant la viande, le végétarisme, en France, ne devrait pas connaître de développement massif. Malgré la vache folle et les autres crises, l’hexagone ne compte toujours que 2 à 3% de végétariens, ce qui est inférieur de moitié à la moyenne européenne et très en deçà des 10% de végétariens que comptent les Etats-Unis. En revanche, la végétalisation de l’assiette est une tendance de fond.

Les récents scandales liés à la viande n’ont-ils pas d’influence ?

E.B : Si vous pensez au scandale de la viande de cheval, il ne changera pas grand-chose et pas de façon durable. Il confortera les personnes qui ont déjà fait le choix du végétarisme, fera basculer ceux qui s’interrogeaient sérieusement sur la qualité de la viande, mais ne se traduira pas par un afflux massif de végétariens. Ce d’autant qu’il n’y pas eu, dans ce cas, de crise sanitaire avérée. Comme lors des crises passées, les premières semaines suivant la révélation ont suscité stupeur et indignation, et la consommation a chuté rapidement et fortement. Mais, comme toujours, il se produira ensuite un retour à la normale, ou presque. Seule une petite fraction des consommateurs abandonnera l’aliment incriminé.

Les habitudes alimentaires sont si difficiles à changer ?

E.B : Oui, il existe une forte inertie des habitudes alimentaires, surtout quand elles sont enracinées depuis l’enfance. De plus, la France a une culture alimentaire forte, où la viande représente l’élément principal et les légumes un simple accompagnement. Certes, les représentations mentales de la viande évoluent, elle n’est plus comme autrefois synonyme de force physique ou de richesse, mais elle demeure, pour beaucoup de nos concitoyens, un aliment dont on n’envisage pas de se passer complètement.

Partagez-vous l’opinion d’Aymeric Caron, dans son livre No Steak, selon laquelle « un jour, nous ne mangerons plus de viande » ?

E.B : Depuis 1980, la consommation de viande rouge chute lentement mais sûrement en France. Néanmoins, à cause des raisons évoquées ci-dessous, le jour où ne mangerons plus de viande me paraît appartenir à un avenir assez lointain, sans doute pas avant deux ou trois générations.

D’après vous, quel est l’argument le plus efficace pour convaincre les gens de ne plus manger de viande ?

E .B : La fraude de la viande de cheval étiqueté bœuf a conforté beaucoup de personnes dans l’idée que « l’on ne sait plus vraiment ce que l’on mange » et a révélé que certains industriels de la filière viande n’hésitaient pas, pour accroître leurs profits, à tromper les consommateurs et, probablement, à mettre en danger leur santé. Cet argument santé, également en lien avec le mode d’élevage intensif des animaux (alimentation industrielle, antibiotiques, hormones, médicaments…) me paraît le plus impactant dans le contexte actuel où à une attention croissante est portée à la santé et à la prévention. Le souci du bien-être animal, même s’il se développe et, je crois, moins répandu. Quant à l’argument plaisir, il faut parvenir à convaincre que les végétaux peuvent être aussi gastronomiques que la viande, ce qui n’est pas (encore) gagné.

Notes :

Derniers ouvrages d'Eric Birlouez parus (aux éditions Ouest France) :
« A table avec les grands personnages de l’histoire » 2012
« Histoire de la cuisine et de la nourriture –Du menu des cavernes à la gastronomie moléculaire » 2011
« Festins princiers et repas paysans à la Renaissance » 2011
« A la table des seigneurs, des moines et des paysans du Moyen Age » 2009

13 commentaires:

Yara Dutra a dit…

Un constat frustrant...
Les Français vivent-ils encore au temps des cavernes? ;)

vegeshopper a dit…

Il est vrai qu'on peut s'interroger sur l'extraordinaire force d'inertie du consommateur français. On parle du scandale de la viande de cheval en incriminant les producteurs ou les industriels, mais on oublie souvent de dire que les consommateurs sont aussi responsables de leurs choix, que leur carte de crédit leur donne droit de vie et de mort sur les produits et que le "chaland" français, en la matière, est particulièrement peu réactif, un peu arriéré et presque cavernicole :-)

Unknown a dit…

Peut être qu'en leur montrant comment remplacer la viande leurs assiettes, avec une approche positive et conviviale, ils seront de plus en plus nombreux à se sentir attirés par cette alimentation et n'auront plus l'impression de "scarifier" une partie d'eux mêmes ou d'être jugés? (ce qui irrémédiablement, nous met tous dans une position défensive et non pas d'entente)
Comme cet article qui plait à de très nombreux lecteurs: http://www.lepalaissavant.fr/comment-remplacer-la-viande-de-nos-assiettes/

Anonyme a dit…

La France Pays des droits de l'homme/ de la révolution/ et de la bouffe...appel aux chefs cuistos les plus médiatisé à faire une révolution culinaire végétale pour devenir premier pays du droit animal.....

Anonyme a dit…

"l’hexagone ne compte toujours que 2 à 3% de végétariens,"
C'est surtout qu'aucun sondage n'a été fait depuis 1996.

En attendant, moi, je vois beaucoup de petits consommateurs de viande qui deviennent finalement végé, de plus en plus de végétariens dans mon entourage (dont ma famille), les produits végétariens qui se multiplient dans les commerces (laits végétaux, simili carnés, faux-mages), les restos et commerces vegans qui ouvrent, le végétalisme qui n'est plus étiqueté comme une folie, le discours pro-végétarien qui se répand dans les médias, les adhésions à l'AVF qui explosent...

Dire que rien ne bouge, sans avoir de données fiables sur lesquelles se baser, c'est jouer le jeu du carnisme. (Surtout quand le discours vient justement d'un zoophage...)

vegeshopper a dit…

Cette interview reflète l'opinion d'Eric Birlouez. Personnellement, même si je trouve les Français particulièrement longs à la détente (les Espagnols aussi, du reste), je pense que le végétarisme se développe en France et qu'il y a un vrai engouement en ce moment. Si ce chiffre de 2% date de 1996, il serait effectivement pas mal de l'acutaliser.

vegeshopper a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
vegeshopper a dit…

Merci à Cécile pour le lien menant vers Lepalaissavant, un blog intéressant que je ne connaissais pas.

Anonyme a dit…

cela conforte les arguments de l'article paru dans NEXUS n° 83 en novembre dernier : "La France est-elle végéphobe ?". Oui, mais les choses bougent, lentement.

Sébastien Kardinal a dit…

Pour que ça décolle en France, il faudrait déjà que le gouvernement reconnaisse officiellement les bienfaits d’une alimentation végétale, ce qui est loin d’être le cas... Que les médecins, diététiciens, nutritionnistes soient formés et parfaitement informés afin d’aider leurs patients, ce qui est loin d’être le cas… Que les écoles hôtelières forment les cuisiniers à la gastronomie végétale, ce qui est loin d’être le cas. Bref, pour convaincre la population française de laisser de côté les mauvaises habitudes et ne plus s’accrocher aveuglement aux traditions, il faudrait que les structures rassurante et objectives soient mises en place. Et là, on est vraiment très loin ! Mais l’AVF fait un très bon boulot avec les moyens qu’elle a, et les choses avances heureusement.

vegeshopper a dit…

Trop d'intérêts sont en jeu; c'est vraiment au consommateur de se prendre par la main et c'est vrai qu'il faut saluer le travail de l'AVF pour l'y aider.

IreneLC a dit…

Bonjour, je voulais juste préciser que le dernier sondage commandé à Opinionway par Terraeco confirme ce chiffre de maximum 3%...donc il ne date pas de 1996. Mais ce serait appréciable d'avoir plusieurs sondages à croiser... ( article destiné aux abonnés, mais une offre d'essai vous permet de le consulter http://www.terraeco.net/Etes-vous-prets-a-devenir,43689.html )

vegeshopper a dit…

Bonjour Irenel, merci de cette précision très intéressante et à bientôt.

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