lundi 18 novembre 2013

My Kitch’n, un Objet Vegan Non Identifié venu de Suède

Jennifer Eric dans sa cuisine-restaurant.

Ce restaurant, café, traiteur et bar à smoothies 100% vegan et bio n’a pas hésité à se poser en plein cœur de la planète carnivore, sur le marché couvert des Batignolles, à Paris. Une

première en France. A ses commandes, la suédoise Jennifer Eric nous parle de ses projets pour convertir au végétalisme les terriens à cabas du 17ème arrondissement. 


Comment es-tu devenue vegan ?


Jennifer Eric: Je suis Suédoise et j’ai déménagé à Los Angeles étant adolescente. J’ai toujours vécu dans des grandes villes, mais, enfant, je passais mes étés à la campagne en Yougoslavie, le pays de ma mère. Là, j’ai vu des choses qui m’ont poussé très tôt à refuser de manger des animaux. Je pouvais tenir un petit agneau dans mes bras et, quelques jours plus tard, voir sa tête dans une casserole… J’ai même vu des poulets courir la tête coupée, l’horreur quoi ! Ces images sont restées gravées.

Que s’est-il passé après ces débuts traumatisants ?

J.E: Après avoir quitté ma famille, j’ai toujours mangé très peu de viande. Je n’arrivais ni à le regarder (pour l’acheter) ni à le toucher (pour le cuisiner). Quand il m’arrivait d’en manger, à l’occasion d’un mariage ou d’un dîner entre amis, je faisais toujours des cauchemars, ce qui ne m’advient jamais autrement. Je pense que je sentais les hormones du stress animal libérées par la peur avant la mort. J’ai été pescétarienne jusqu’à il y deux ou trois ans. Je mangeais des poissons, des œufs, mais pas des produits laitiers. J’ai arrêté les œufs cause d’une allergie alimentaire, et comme il ne restait que les poissons, j’ai franchi le pas vers le veganisme.

Comment est née l'idée de My Kitch'n ?

J.E: Je travaille dans la restauration, depuis mes dix-huit ans. J’habitais Los Angeles et il me fallait un job d’étudiante pour payer mes études. Après avoir commencé comme barmaid, j’ai fait presque tous les métiers de la restauration. Honnêtement, j’étais une très mauvaise serveuse, car j’essayais de faire manger aux clients ce que je préférais. Il était donc temps que je crée ma propre utopie; un business model dont je puisse être fière. J’ai deux associés, des amis de longue date. Ce sont mes actionnaires financiers; je travaille et eux me soutiennent financièrement et moralement.

Comment t'y es-tu prise pour lancer ton affaire?

J.E: Mes associés m’ont aidé, ainsi que Pôle Emploi, car mon dernier job en France avait débouché sur un licenciement abusif. J’ai trouvé l’emplacement par le site internet de la ville de Paris et dû monter un dossier impossible car je venais de rentrer de Dubaï et n’avais pas de fiche de paye, pas d’avis d’imposition, rien. Il a fallu que je défende le projet becs et ongles, car on m’a dit, bien sûr, qu’il n’existait pas de marché pour la nourriture végétale.

Comment définirais-tu ton concept ?

J.E: Ayant étudié le marketing, je le définis par les mots de Mr Ogilvy : “on ne peut pas sauver des âmes dans une église vide.” Je suis persuadée qu’un accès plus facile à la nourriture végétale et une communication ouverte, sans jugements, amènera des changements positifs. Aujourd’hui, il est trop facile de manger ce que l’on sait qu’on ne devrait pas manger et trop difficile de trouver des plats végétaliens goûteux et de qualité près de chez soi. Invertir cette donne est, je crois, la clé pour faire baisser la consommation de viande. Chez My Kitch’n, tout est bio et de proximité; je n’achète que des produits bruts (fruits, légumes, graines, légumineuses, etc) transformés sur place. My Kitch’n est un jeu de mots sur kitsch et kitchen. On y trouve exactement  ce que j’ai dans ma cuisine, ce que je mange.

Te considères-tu avant tout comme une militante, une femme d'affaires ou une cuisinière ?

J.E: Pour reprendre le mot d’un homme que j’admire, Ron Finley, le jardinier « renégat » de South Central LA, je pense être « écolutionnaire ». J’ai trouvé un moyen de combiner mes convictions écologiques, mon éducation et mon savoir-faire dans un projet que je trouve passionnant. Pour résoudre un problème, il faut d’abord cesser d’y participer. Comme je refuse de soutenir un système économique et politique dans lequel je ne crois pas, j’essaie de créer autre chose qui soit plus en harmonie avec mes valeurs.

As-tu un style culinaire particulier ?

J.E: J’essaie de normaliser la nourriture végétale dans un environnement omnivore, donc de prouver que tout peut être fait version vegan, en particulier des classiques, comme les pâtes  à la Bolognaise, des wraps, de la moussaka ou de la lasagne, d’une façon savoureuse et bonne pour la santé. Les influences yougoslaves de ma mère et de ma grand-mère se retrouvent dans l’ajvar ou la moussaka, par exemple, car même si j’ai grandi en Suède, leurs racines restent les miennes. De Los Angeles, où j’ai vécu très longtemps, j’ai ramené des influences tex-mex, mexicaines, asian fusion et israéliennes. J’aime le guacamole, la salsa aux oignons rouges ou la salsa de mangue au piment de Cayenne. Mes vinaigrettes pour les salades sont souvent très asiatiques et j’adore toutes les petites salades, sauces et dips de la communauté juive à Los Angeles dont je fréquentais beaucoup leurs épiceries à l’époque, surtout pour l’humus, le baba-ganoush (mtabal) et les légumes grillés ou marinés. Etant donné que je viens de passer quelques années à Dubaï, il y a aussi un petit côté moyen-oriental dans ma cuisine. Là-bas, à la place des bonbons, ils vendent sur de petits étals des dattes (au chocolat, à la noix de coco ou à la fleur d’oranger), des fruits secs, des noix, etc. Pas besoin des sucres raffinés. Bref, il y a dans ma cuisine des traces de chaque endroit où, à une époque ou à une autre, je me suis sentie chez moi. 

Comment vont les affaires depuis ton ouverture, en avril ?
J.E: L’évolution est encourageante. Le mot vegan fait désormais partie du vocabulaire du quartier; les médias sociaux m’aident beaucoup, des sites internet comme Happy Cow et des bloggeurs aussi; un sort de buzz s’est déjà crée. C’est top! Et, chaque mois, je constate une augmentation de la fréquentation. Petit à petit, l’oiseau fait son nid…

Quelles réactions a suscité ton installation sur ce marché ?

J.E: Le côté positif, c’est que je ramène un côté « jeune » dans un endroit typiquement français, soumis qui plus est à la compétition des grandes surfaces. Mais ce « typiquement français » rend ma cuisine forcément atypique à cet endroit. Certains, je peux l’imaginer, se demandent si je vais tenir le choc, car la vie d’un petit commerçant est très fatigante. C’est vrai qu’on ne lit pas forcément sur mon visage à quel point j’ai l’habitude de bosser… Ceci dit, mes collègues sont plutôt curieux de ma cuisine. Comme ça sent toujours bon, il est facile de se laisser tenter ! Mon voisin, le charcutier, fait de la pub pour mon café, qu’il apprécie beaucoup. Les deux femmes qui travaillent chez le boucher sont végétariennes et raffolent de mes petits desserts crus.

Quels sont les projets d'avenir de My Kitch'n ?

J.E:  En ouvrir plusieurs. Mais on souhaite garder l’emplacement sur le marché aussi  longtemps qu’on le pourra pour l’approche plus directe et le côté showroom vegan. J’ai du reste demandé un emplacement sur un autre marché. A suivre… Les projets d’avenir ?  C’est mon inspiration au quotidien. Il y a tant de choses à faire ! J’ai hâte de tout mettre en place ! Cela peut sembler bizarre, mais ça me donne la pêche de me lever à sept heures du matin six jours sur sept pour éplucher, couper et hacher des légumes.

Note:

Pour consulter le site web de My Kitch'n puis se rendre sur la page Facebook, c'est par là

Sans tomber dans la caricature, la déco de My Kitch'n assume pleinement son côté rupturiste et militant.

1 commentaire:

Anonyme a dit…
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