Jennifer Eric dans sa cuisine-restaurant. |
Ce restaurant, café, traiteur et bar à smoothies 100% vegan et bio n’a pas hésité à se poser en plein cœur de la planète carnivore, sur le marché couvert des Batignolles, à Paris. Une
première en France. A ses commandes, la suédoise Jennifer Eric nous parle de ses projets pour convertir au végétalisme les terriens à cabas du 17ème arrondissement.
Comment es-tu devenue vegan ?
Jennifer Eric: Je suis Suédoise et j’ai déménagé
à Los Angeles étant adolescente. J’ai toujours vécu dans des grandes villes,
mais, enfant, je passais mes étés à la campagne en Yougoslavie, le pays de ma mère. Là, j’ai vu des choses qui m’ont poussé très tôt à refuser de manger des animaux. Je pouvais tenir un petit
agneau dans mes bras et, quelques jours plus tard, voir sa tête dans une
casserole… J’ai même vu des poulets courir la tête coupée, l’horreur quoi ! Ces
images sont restées gravées.
Que s’est-il passé après ces débuts
traumatisants ?
J.E: Après avoir quitté ma famille,
j’ai toujours mangé très peu de viande. Je n’arrivais ni à le regarder (pour
l’acheter) ni à le toucher (pour le cuisiner). Quand il m’arrivait d’en manger,
à l’occasion d’un mariage ou d’un dîner entre amis, je faisais toujours des cauchemars,
ce qui ne m’advient jamais autrement. Je pense que je sentais les hormones du
stress animal libérées par la peur avant la mort. J’ai été pescétarienne jusqu’à
il y deux ou trois ans. Je mangeais des poissons, des œufs, mais pas des
produits laitiers. J’ai arrêté les œufs cause d’une allergie alimentaire, et
comme il ne restait que les poissons, j’ai franchi le pas vers le veganisme.
Comment est née l'idée de My Kitch'n ?
J.E: Je travaille dans la restauration,
depuis mes dix-huit ans. J’habitais Los Angeles et il me fallait un job
d’étudiante pour payer mes études. Après avoir commencé comme barmaid, j’ai
fait presque tous les métiers de la restauration. Honnêtement, j’étais une très
mauvaise serveuse, car j’essayais de faire manger aux clients ce que je préférais.
Il était donc temps que je crée ma propre utopie; un business model dont je puisse être fière. J’ai deux associés, des amis de
longue date. Ce sont mes actionnaires financiers; je travaille et eux me
soutiennent financièrement et moralement.
Comment t'y es-tu prise pour lancer ton affaire?
J.E: Mes associés m’ont aidé, ainsi que
Pôle Emploi, car mon dernier job en France avait débouché sur un licenciement abusif. J’ai
trouvé l’emplacement par le site internet de la ville de Paris et dû monter un
dossier impossible car je venais de rentrer de Dubaï et n’avais pas de fiche
de paye, pas d’avis d’imposition, rien. Il a fallu que je défende le projet
becs et ongles, car on m’a dit, bien sûr, qu’il n’existait pas de marché pour la
nourriture végétale.
Comment définirais-tu ton concept ?
J.E: Ayant étudié le marketing, je le définis
par les mots de Mr Ogilvy : “on ne peut pas sauver des âmes dans une
église vide.” Je suis persuadée qu’un accès plus facile à la nourriture
végétale et une communication ouverte, sans jugements, amènera des changements
positifs. Aujourd’hui, il est trop facile de manger ce que l’on sait qu’on ne
devrait pas manger et trop difficile de trouver des plats végétaliens goûteux
et de qualité près de chez soi. Invertir cette donne est, je crois, la clé pour
faire baisser la consommation de viande. Chez My Kitch’n, tout est bio et de
proximité; je n’achète que des produits bruts (fruits, légumes, graines,
légumineuses, etc) transformés sur place. My Kitch’n est un jeu de mots sur
kitsch et kitchen. On y trouve exactement
ce que j’ai dans ma cuisine, ce que je mange.
Te considères-tu avant tout comme une militante, une
femme d'affaires ou une cuisinière ?
J.E: Pour reprendre le mot d’un homme
que j’admire, Ron Finley, le jardinier « renégat » de South Central
LA, je pense être « écolutionnaire ». J’ai trouvé un moyen de combiner
mes convictions écologiques, mon éducation et mon savoir-faire dans un projet
que je trouve passionnant. Pour résoudre un problème, il faut d’abord cesser
d’y participer. Comme je refuse de soutenir un système économique et politique
dans lequel je ne crois pas, j’essaie de créer autre chose qui soit plus en
harmonie avec mes valeurs.
As-tu un style culinaire particulier ?
J.E: J’essaie de normaliser la
nourriture végétale dans un environnement omnivore, donc de prouver que tout
peut être fait version vegan, en particulier des classiques, comme les
pâtes à la Bolognaise, des wraps, de la
moussaka ou de la lasagne, d’une façon savoureuse et bonne pour la santé. Les
influences yougoslaves de ma mère et de ma grand-mère se retrouvent dans
l’ajvar ou la moussaka, par exemple, car même si j’ai grandi en Suède, leurs
racines restent les miennes. De Los Angeles, où j’ai vécu très longtemps, j’ai
ramené des influences tex-mex, mexicaines, asian
fusion et israéliennes. J’aime le guacamole, la salsa aux oignons rouges ou
la salsa de mangue au piment de Cayenne. Mes vinaigrettes pour les salades sont
souvent très asiatiques et j’adore toutes les petites salades, sauces et dips
de la communauté juive à Los Angeles dont je fréquentais beaucoup leurs
épiceries à l’époque, surtout pour l’humus, le baba-ganoush (mtabal) et les légumes
grillés ou marinés. Etant donné que je viens de passer quelques années à Dubaï,
il y a aussi un petit côté moyen-oriental dans ma cuisine. Là-bas, à la place
des bonbons, ils vendent sur de petits étals des dattes (au chocolat, à la noix
de coco ou à la fleur d’oranger), des fruits secs, des noix, etc. Pas besoin
des sucres raffinés. Bref, il y a dans ma cuisine des traces de chaque endroit
où, à une époque ou à une autre, je me suis sentie chez moi.
Comment vont les affaires depuis ton ouverture, en
avril ?
J.E: L’évolution est encourageante. Le
mot vegan fait désormais partie du vocabulaire du quartier; les médias sociaux
m’aident beaucoup, des sites internet comme Happy Cow et des bloggeurs aussi;
un sort de buzz s’est déjà crée. C’est top! Et, chaque mois, je constate une augmentation
de la fréquentation. Petit à petit, l’oiseau fait son nid…
Quelles réactions a suscité ton installation sur ce
marché ?
J.E: Le côté
positif, c’est que je ramène un côté « jeune » dans un endroit typiquement
français, soumis qui plus est à la compétition des grandes surfaces. Mais ce
« typiquement français » rend ma cuisine forcément atypique à cet
endroit. Certains, je peux l’imaginer, se demandent si je vais tenir le choc,
car la vie d’un petit commerçant est très fatigante. C’est vrai qu’on ne lit
pas forcément sur mon visage à quel point j’ai l’habitude de bosser… Ceci dit,
mes collègues sont plutôt curieux de ma cuisine. Comme ça sent toujours bon, il
est facile de se laisser tenter ! Mon voisin, le charcutier, fait de la pub
pour mon café, qu’il apprécie beaucoup. Les deux femmes qui travaillent chez le
boucher sont végétariennes et raffolent de mes petits desserts crus.
Quels sont les projets d'avenir de My Kitch'n ?
Note:
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