Inquiet de la fermeture de Viva Vegan et du virage flexitarien du restaurant Le Commensal, j’ai voulu demander son avis à Elise Desaulniers, montréalaise, vegan et auteure à succès de « Je mange avec ma tête ». Non seulement celle-ci m'a rassuré, mais elle m'a parlé d'un sujet qui la passionne: les rapports entre éthique et alimentation.
Le végétarisme serait-il en difficulté au Québec ?
Elise Deslauniers : Lier la récente fermeture de Viva Vegan et le
changement d'orientation du Commensal à
une diminution de l'intérêt pour le végétarisme serait une erreur. Au
contraire, il ne s’est jamais publié autant de livres sur le sujet, les cours
de cuisine végétarienne sont pleins, le restaurant Crudessence est en plein boum et d’autres établissements
végétariens ouvriront à Montréal dans les prochains mois. J’ajoute que mon
livre se vend plutôt bien et que mes conférences sont populaires, donc tout va
bien.
Et dans le reste du Canada ?
E.D : À Ottawa, Toronto ou Vancouver, le mouvement végétarien est encore mieux
implanté. Il y a plus de restaus végés, plus d’options végétariennes et
végétaliennes dans les restaus omnivores et plus de VegFest, très populaires.
Là-bas, les médias grand public parlent de végétarisme chaque semaine. N’oublions
pas que la réflexion éthique et animale s’est longtemps faite en anglais. Au
Québec, comme en France, notre tradition humaniste qui place l’homme au centre
de tout rend plus difficile la remise en question de la place des animaux dans
notre société.
Comment en êtes vous venue à vous intéresser aux rapports entre éthique et
alimentation, le sujet de votre livre ?
E.D : Je suis une montréalaise de 37 ans,
diplômée en sciences politiques. J’ai occupé différents emplois dans la
pub ou chez Air France avant de tout
laisser tomber pour devenir auteure et conférencière. Je suis devenue
végétarienne et vegan voici quatre ans, après avoir lu Éthique animale de
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. Choquée, j'ai compris que rien ne justifiait la
consommation de viande à part mon plaisir personnel. J’ai aussi été beaucoup
influencée par le philosophe Peter Singer.
Peut-on dire que l’éthique est la première raison menant au végétarisme ?
E.D : Nous savons maintenant,
études à l’appui, que près de 60% des végétariens le sont pour des raisons éthiques.
Les autres raisons invoquées sont la santé puis, encore loin derrière, la
protection de l’environnement. Le végétarien éthique change plus vite d’alimentation
et a davantage tendance à devenir vegan. Évidemment, ces groupes s'entrecoupent
et partagent des valeurs, mais le rapport à l'alimentation reste
différent.
Qu’est-ce que l’éthique en alimentation et
la réflexion éthique ne nous mène-t-elle pas, parfois, à des impasses ?
E.D : L’éthique n’est pas un ensemble de
règles et d'interdits, comme nous le croyons parfois, mais plutôt une réflexion continue visant à répondre
à une question simple : comment agir au mieux ? D’autre part, je ne pense
pas que réfléchir aux conséquences de nos choix puisse nous mener à des impasses ;
au contraire, c’est ce qui nous fait avancer.
Prenons deux exemples volontairement simplistes : le tofu et l’huile
de palme sont-il des aliments éthiquement acceptables ?
E.D : Pour le soja, le problème vient de sa
monoculture avec des semences génétiquement modifiées. Cependant, sa production
à des fins de consommation humaine est marginale, moins de 7 %. Le reste est
pour le bétail. Le problème ne vient donc pas de notre consommation de tofu,
mais de celle de viande de bœuf. En Amérique du Nord, la majorité du soja
consommé par des humains est produit de façon extensive et biologique. Pour
l'huile de palme, c’est également la monoculture qui pose problème. Mais il est
possible de produire cette huile de façon durable et cela se fait déjà.
L’industrie a-t-elle un rôle à jouer
dans la diffusion du végétarisme ?
E.D : Absolument. La difficulté d’accès aux
produits végétariens est l’une des premières raisons invoquées par les
omnivores pour ne pas franchir le pas. Nous rêvons tous d’avoir un potager, de
confectionner nous-mêmes nos végéburgers, mais il faut se rendre à l'évidence :
le végétarisme ne deviendra pas mainstream sans les produits
industriels. Par exemple, avec sa fausse viande, Beyond Meat, sur la côte-ouest
américaine, est aujourd’hui en position de « végétaliser » les menus de
grandes chaînes de restauration, ce qui serait autrement impensable. Bref, plus
il y aura de produits végétariens, plus le végétarisme sera sexy.
Pourquoi avoir écrit « Je mange
avec ma tête » ? Avez-vous été influencée par l’essai de Jonathan
Safran Foer, « Faut-il manger les animaux ? »
E.D : Jonathan Safran Foer décrit les élevages américains et parle plutôt de
notre rapport émotif avec la viande. Ayant lu son livre, j’ai voulu aller plus
loin en m’interrogeant sur les conséquences de nos choix alimentaires. Je parle
évidemment d'élevage, mais aussi de pêche, de gaspillage et me demande s’il
serait possible de nourrir la planète sans agriculture chimique.
Vous avez voulu aborder l’éthique
alimentaire dans son ensemble ?
E.D : Oui, dans un chapitre intitulé « souper avec Sarah
Palin », je réponds aux arguments d’un
carnivore contre le végétarisme. J’aborde aussi les neurosciences et la question
de la mesure du degré de souffrance des animaux. Ce sont autant d’interrogations que j’avais
sans en trouver la réponse. De là est né mon désir d’écrire ce livre. Etant
donné son très bon accueil, j’ai souhaité poursuivre mes recherches et un autre livre paraîtra au printemps.
Notes: Vous pouvez consulter et acheter Je Mange avec ma Tête en cliquant ici. Ou rejoindre Elise sur son blog, "penser avant d'ouvrir la bouche".
Notes: Vous pouvez consulter et acheter Je Mange avec ma Tête en cliquant ici. Ou rejoindre Elise sur son blog, "penser avant d'ouvrir la bouche".
4 commentaires:
J'ai adoré lire ''Je mange avec ma tête'' et je vais attendre le prochain livre d'Élise Desaulniers avec impatience. Je suis très heureuse qu'il y ait quelqu'un comme elle au Québec.
Merci pour cet interview!
De rien. Si son livre était en vente dans les librairies françaises, il trouverait aussi une large audience.
"le végétarisme ne deviendra pas mainstream sans les produits industriels." : je suis parfaitement d'accord avec cette analyse. :)
Oui, cela fait grincer les dents de certains, mais l'équation est très simple: + de solutions repas végétariennes, + de végétariens. Donc encourageons sans renoncer à notre esprit critique toutes les initiatives des fabricants et des industriels qui vont dans ce sens.
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