mercredi 5 décembre 2012

Un philosophe végétalien contre l’élevage industriel: Thomas Lepeltier.

philosopher sur le végétarisme
Avec Thomas Lepeltier, la philosophie s'intéresse de nouveau au végétarisme et à la  condition animale, des sujets qu'elle avait eu tendance à délaisser.

Historien et philosophe des sciences, Thomas Lepeltier est l’auteur d’un article remarqué, « Faut-il encore manger de la
viande ? », paru  ce mois-ci dans Sciences Humaines.
Impressionné par son passage dans l’émission La Tête au Carré, sur France Inter, je lui ai demandé de philosopher avec nous.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Thomas Lepeltier : Je suis un chercheur indépendant en histoire et en philosophie des sciences. J'ai été amené au végétarisme puis au végétalisme assez récemment suite à différentes lectures, notamment Un Eternel Treblinka, de Charles Patterson, paru chez Calmann-Lévy en 2008. Poursuivant mes lectures sur l'éthique animale, je me suis rendu compte que le végétalisme était la seule position cohérente en ce qui concerne notre relation avec les animaux.

Quels rapports le végétarisme entretient-il avec la philosophie ?

T.L : Notre rapport aux animaux a été très peu ou très mal pensé par les philosophes. À quelques exceptions près, il faut attendre la seconde moitié du vingtième siècle pour voir des philosophes essayer de définir une position cohérente vis-à-vis des animaux. Tristement, cette réflexion, qui relève de l'éthique animale, est absente en France.
Et Descartes ? A-t-il vraiment une responsabilité dans l’image que nous nous faisons des animaux ?
T.L : Descartes a bien sûr joué un rôle important dans le déni de la sensibilité des animaux, mais il ne faudrait pas l'accuser de tous les maux. La cruauté envers les animaux est constitutive de notre civilisation. Si Descartes n'avait pas existé, je pense, hélas, que leur condition serait similaire.
Vous dénoncez la schizophrénie consistant à choyer, voire à protéger légalement certains animaux, et l'extrême cruauté des abattoirs. Jusqu’où ira cette contradiction ?
T.L : Elle ne pourra pas s'éterniser. Depuis de le dix-neuvième siècle, le malaise face à la souffrance des animaux va croissant. Il y a de plus en plus de lois protectrices des animaux et, à différents niveaux de la société, le bien-être des animaux est mieux pris en compte. En même temps, jamais la condition des animaux de rente n'a été aussi abominable. Ce paradoxe n'est possible que parce qu'on ne voit pas dans quelles conditions effroyables ils sont élevés et abattus. Je dirais même que l'on fait tout pour ne pas le voir. Mais je ne pense pas que cela puisse continuer longtemps. Viendra un jour où nous devrons nous mettre en accord avec nous-mêmes.
Etes-vous optimiste quant à l'essor du végétarisme ?
T. L : Oui. Les carnivores ne veulent pas savoir ce qui se passe dans les élevages et les abattoirs, une véritable hypocrisie de leur part. "Ne me parlez pas de vos histoires d’abattoirs, répètent-ils, vous allez gâcher mon repas!". La première chose à faire est donc d'informer. Il faut forcer la société à regarder ce qui se fait en son nom dans les élevages et les abattoirs. Ensuite, il faut agir au niveau législatif, faire pression sur les hommes et les femmes politiques pour qu'ils adoptent un système législatif cohérent. Enfin, il faut montrer que l'on peut très bien manger et très bien vivre en étant végétalien. Le végétalisme souffre en effet d'une mauvaise image, propagée par des carnivores de mauvaise foi. Votre blog joue ce rôle, très important.
Que vous inspire la notion de végétarisme éthique et cette éthique ne se heurte-t-elle pas, en dernière analyse, à la loi du marché ?
T.L : Un végétarien éthique est une personne qui refuse que l'on fasse souffrir des animaux sans nécessité, juste pour son plaisir. Ce n'est pas plus compliqué que ça. Quant au marché, il peut certes poser des problèmes éthiques, je le reconnais. Mais je ne considère pas que le marché soit la cause première de l'exploitation des animaux. L'esclavage n'a plus sa place dans notre société moderne depuis qu'il a été aboli, sans que les principes de l'économie aient dû être modifiés pour autant. Pourquoi la consommation de produits d'origine animale ne pourrait-elle pas, elle aussi, être abolie dans le cadre d'une économie de marché ?
Que diriez-vous à un carnivore pour le convaincre d’adopter une diète végétarienne ?
T. L : Je poserais une question toute simple : acceptez-vous que l'on fasse souffrir des animaux juste pour votre plaisir? Si la personne répond "oui" et continue à manger de la viande, je lui dirais que, pour être cohérente, il faudrait qu'elle soit favorable à la suppression des lois anti-cruauté. J'avoue que je n'ai encore rencontré de personne qui se revendique de cette cruelle cohérence. Si la personne répond sincèrement "non", je lui dirais alors qu'il faut qu'elle devienne végétalienne, ou du moins quasi-végétalienne, afin d'être cohérente avec elle-même puisque la nourriture d'origine animale repose, presque toujours, sur une cruauté non nécessaire et souvent effroyable.

Considérez-vous votre article dans Sciences Humaines comme militant ?

T.L: Non, un militant de la cause animale est une personne qui entreprend des actions en faveur de cette cause. Un article militant inviterait donc les lecteurs à agir, ce qui est une très bonne chose mais n'était pas mon propos. Je n'ai fait que décrire une situation et développer une argumentation logique. Si mon article donne l'impression à de nombreux lecteurs qu'il est militant, c'est probablement qu'ils ressentent que la situation décrite et les arguments présentés appellent d'eux-mêmes un changement d'attitude en faveur du végétarisme. Mais ce n'est pas l'article qui le demande explicitement. Cette conclusion doit s'imposer d'elle-même au lecteur. Développer une argumentation rationnelle n'est pas faire du militantisme.

Notes:

Pour consulter le site web de Thomas Lepeltier, cliquer ici

Vous pouvez, en cliquant icilire l'article consacré par Thomas Lepeltier au livre de Charles Patterson, Un Eternel Treblinka.

l

19 commentaires:

St3fan a dit…

Merci beaucoup pour cet entretien très intéressant et les liens en fin d'article.

vegeshopper a dit…

Merci Stefan, si je le peux, j'essaierai de continuer à donner la parole à des philosophes ou à des artistes végétariens ou intéressés par le végétarisme. A bientôt !

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour cette interview très intéressante ! Et oui oui oui pour d'autres prises de paroles à venir !

Geoffroy a dit…

Merci, je partage sur FB... toutes les réflexions, images, doc, infos, références... doivent circuler partout, le + possible ! Merci encore !

Lili a dit…

Très intéressant, merci beaucoup !!!!

Mlle Pigut a dit…

Merci pour cette interview !

David a dit…

Une mise en cause est forcement militante, mais l'absence de remise en cause est aussi un acte militant. Ce sont des sujets sur lesquels on ne peut que prendre parti de pare leur nature morale. La neutralité est une illusion entretenue par le pouvoir en place pour éviter toute mise en cause. Ici, le pouvoir ce n'est pas simplement les lobbies, mais toute personne impliquée dans la participation au massacre, à savoir la quasi-totalité de nos concitoyens. Le soupçon qui pèse sur son article est le fait de ce type de personne engagée dans ce massacre, un tel soupçon est donc un acte militant.

Anonyme a dit…

Bravo.

vegeshopper a dit…

Nous avons en France une tradition d'intellectuels engagés et il serait bien que d'autres voix se joignent à celle de Thomas Lepeltier qui risque, sinon, de prêcher dans le désert.

Olive a dit…

"L'esclavage n'a plus sa place dans notre société moderne depuis qu'il a été aboli, sans que les principes de l'économie aient dû être modifiés pour autant."
Cet argument n'est pas valable pour moi car l'esclavage concernait des humains et non des animaux... par ailleurs il a été aboli aussi pour des raisons économiques, au début de l'industrialisation, parce que des machines pouvaient faire le travail des hommes plus efficacement. Pour finir, ne culpabilisons pas les "carnivores", ce n'est pas le bon moyen d'arriver à convaincre les gens.

David a dit…

"Nous avons en France une tradition d'intellectuels engagés et il serait bien que d'autres voix se joignent à celle de Thomas Lepeltier qui risque, sinon, de prêcher dans le désert. "

Il y en a de plus en plus même s'il est vrai que la France est notoirement en retard sur ce sujet. Il n'y a qu'à voir le nombre de publications en matière d’éthique animale dans les pays anglo-saxons. Là-bas il ne viendrait à personne l'idée de taxer de "militant"(comme si c'était une insulte) le philosophe qui prend parti comme le fait si brillamment Thomas Lepeltier, pas plus qu'on ne dira que Plutarque ou Porphyre n'étaient pas des philosophes lorsqu'ils plaidaient pour "l'abstinence". Nos chers compatriote carnistes (cf. Melany Joy) confondent la neutralité axiologique, qui est une méthode visant à aboutir à un résultat non biaisé, et l'engagement. Les deux n'ont rien d’incompatible du moment que l'auteur aborde les choses de façons scientifique, c'est-à-dire en prenant en compte tous les arguments, comme l'explique l'auteur à la fin de l'itw.

"Cet argument n'est pas valable pour moi car l'esclavage concernait des humains et non des animaux... "

Voilà un exemple de propos s'inscrivant dans une démarche parfaitement inverse de celle de l'auteur. Une opinion qui ne repose pas sur une démonstration ne vaut strictement rien, ne faisant que nous informer sur ce que pense son auteur.

Natalie a dit…

"Que diriez-vous à un carnivore pour le convaincre d’adopter une diète végétarienne ?
T. L : Je poserais une question toute simple : acceptez-vous que l'on fasse souffrir des animaux juste pour votre plaisir? Si la personne répond "oui" et continue à manger de la viande, je lui dirais que, pour être cohérente, il faudrait qu'elle soit favorable à la suppression des lois anti-cruauté. J'avoue que je n'ai encore rencontré de personne qui se revendique de cette cruelle cohérence."
Quel optimisme ! J'ai posé à 2 reprises cette questions et les 2 fois, les personnes ont été claires : "je ne vis qu'une seule fois, je ne vais pas faire de sentimentalisme envers les animaux" {cette personne n'aime même pas les animaux de compagnie, et le revendique dès qu'elle en a l'occasion} et la 2nde personne m'a rapporté que c'était elle qui nourrissait l'agneau au biberon, le tuait et était le 1er à table à choisir son morceau, car les meilleurs morceaux revenaient traditionnellement à celui qui avait élevé l'agneau. Il m'a donné les détails de l'abattage de ses porcs car oui, lui, étant éleveur, pouvait franchir les portes des abattoirs et "Alors ?..." avec un haussement d'épaule. Ces 2 personnes n'ont pas fait de provoc, malheureusement ! Et je me suis trouvée muette devant leurs réactions !
Ah oui, j'en ai discuté aussi, avec un éleveur de chèvres, qui, lui, avec les larmes aux yeux, m'a dit qu'il se refusait de savoir où allaient ses chèvres âgées de + de 10 ans. Un homme les emmenaient, ce jour-là il s'arrangeait pour être absent de sa ferme. Cet éleveur à une 20aine de chèvres, les fromages qu'il vend ne lui permettent même pas de vivre décemment, et il ne peut pas garantir à ses bêtes une douce retraite, il en est malade, mais continue à faire des picodons, car c'est sa vie !
J'informe et je m'informe le plus possible sur le specisme et les réalités de notre assiette carnivore, mais ce n'est pas toujours paisible ! Heureusement, il y a des sites comme le votre qui représente des phares, des ilots où il est bon de venir se poser pour reprendre des forces avant de retourner dans la société.
Merci pour ce témoignage, merci pour vos sites et blog.

Olive a dit…

@ David : démontrer ? On a vu ce que les "démonstrations" parfaitement "rationnelles" et "scientifiques" de Descartes et Malebranche ont produit comme résultat pour la condition animale... On fait dire ce qu'on veut aux "démonstrations". Par exemple on peut sûrement démontrer que la condescendance n'est pas le meilleur moyen pour faire passer un message !

David a dit…

Démontrer ne signifie pas avoir raison ad vitam aeternam. La science, par essence, se corrige ; ce qui est vrai aujourd'hui sera peut-être faux demain. Tout est affaire de méthode, et c'est là qu'on discerne ce qui relève du sentiment et ce qui tend à une vérité, fût-elle provisoire - disons une certaine vérité à défaut d'une vérité certaine. Faute de quoi, il y aurait autant de vérités qu'il y a d'opinions, ce qui en soi pose problème et aurait en outre pour conséquence pratique qu'il ne serait plus possible de s'accorder sur quoi que ce soit. C'est pourquoi il est permis, sans faire preuve de condescendance, d'exiger que celui qui participe à un débat appuie ses affirmations sur des raisonnements pouvant être discutés, le sentiment ne pouvant l'être.

vegeshopper a dit…

Merci à Natalie pour son commentaire sur mon blog. Je suis sûr que Thomas Lepeltier lui-même ne s'attendait pas à ce que ses propos soient aussi lus et commentés. Je pense qu'il sera heureux de constater que, même dans leur débat à fleuret moucheté, David et SofSof évitent de répandre du sang et conservent une attitude de respect mutuel toute végétarienne :-)

Olive a dit…

Votre discours est condescendant dans la mesure où vous considérez que les affirmations qui ne s'expriment pas selon VOS critères ne sont pas valables. D'où surgit la vérité ? Des discours universitaires, du rationnalisme pure et dure ?! Pourquoi elle ne surgirait pas aussi des sentiments, des émotions, des intuitions ? Par ailleurs ce n'est pas parce qu'on "s'accorde" sur quelque chose que cette chose est bonne. Le rationnalisme peut produire le pire aussi, à savoir un raisonnement fermé et froid qui ne rend pas compte de la réalité et de la complexité humaine. A trop vouloir faire contre-poids au discours émotionnel des protecteurs des animaux, vous versez dans l'excès l'inverse !

David a dit…

Vous pensez que le terme "esclavage" ne devrait pas s'appliquer aux animaux, je pense que si. Qui de nous a objectivement raison, si l'expression d'un sentiment suffit à tenir lieu de vérité ? Personne, puisque l'un comme l'autre avons raison selon VOS critères (l'intuition tenant lieu de vérité), et que nous avons adopté une position radicalement contraire.

C'est pour pallier à une telle absurdité qu'on attend généralement de son contradicteur qu'il ne se limite pas à approuver ou désapprouver une proposition (ceci n'est nullement incompatible avec le fait de pouvoir s'accorder sur un raisonnement faux ou sur une erreur, laquelle pourra être corrigée par un autre raisonnement).

Si cela ne vous convient pas, je n'y verrai pas d’inconvénient, du moment que vous ne prétendez pas à la vérité objective. Car à ce moment il vous faudra nous dire en quoi votre vérité est supérieure à la même, c'est-à-dire argumenter et ainsi renier vos critères de la vérité.

Je suis à votre disposition pour tout débat sur la question de savoir si le terme esclavage s'applique bien au sort des animaux.

David a dit…

supérieure à la mienne

Anonyme a dit…

il faut continuer a œuvré pour le végétarisme et végétalisme. maintenant des vaches "dociles" sont envisagées pour faciliter l'élevage. ça se fait peut être depuis longtemps. c'est un énorme cauchemar. il faut que cela change en france, aussitôt que possible.
vos idées sont bonnes...

Enregistrer un commentaire